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Lundi 16 mai 2016

LA CHINE… (enfin, juste un peu de Xinjang)

Pour entrer en Chine, c'est un casse-tête (évidemment!), une énigme, un cauchemar administratif.

Tout d'abord, quand on se déplace avec son propre véhicule, il faut réserver une agence de voyage 6 mois à l'avance. Ce qui fait que, depuis les Emirats, en décembre, nous savions déjà que, le 11 mai 2016, nous allions nous retrouver à un poste frontière chinois, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige.

Et ensuite, comme nous avions choisi l'agence la meilleure marché, il a fallu réussir à comprendre tout seul comment faire rentrer dans le même espace-temps le passage de la douane pakistanaise (dont le poste est à 80 kilomètres de la frontière) et celui de la douane chinoise (qui est à 120 kilomètres de l'autre côté de la frontière), sachant que la douane chinoise fonctionne à l'heure de Pékin (Bejing Time pour les intimes), qui n'est pas tout à fait dans le même fuseau horaire que le Pakistan…

Les lois de la physique quantique ne pouvant pas être plus compliquées qu'une journée de route entre deux pays, nous nous sommes donc présentés le mercredi 11 mai à la douane de Sost à 8 heures du matin, heure pakistanaise, pour une longue journée pakistano-chinoise. Nos copains Dean et Sally, avec qui on partage cette petite escapade chinoise, avaient réussi à faire ouvrir le poste une heure plus tôt… Mais ce n'est que vers 8h20 qu'un douanier est arrivé, enroulé dans une vieille couverture poilue. Vers 8h50, le reste de ses collègues se sont manifestés mais, manque de bol, ils ne trouvaient plus le tampon « exit » dans leurs affaires… Finalement, vers 9h15, on a pu quitter Sost, la larme à l'oeil et après force accolades avec les douaniers.

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Ensuite, il y a encore un check post à passer 15 kilomètres plus loin. Comme on voulait faire encore durer le temps avec les Pakistanais, on a accepté avec plaisir de descendre du camion pour papoter encore un peu, et ils nous ont même montré un magnifique léopard des neiges en cage, dont ils s'occupent à leurs heures creuses, qui doivent être nombreuses.

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Et, 10 kilomètres plus loin, il a encore fallu s'arrêter pour payer une taxe d'entrée dans le parc national du Khunjerab Pass, ça nous a fait moins rigoler.

Et après, la route grimpe, grimpe, grimpe. On a les yeux sur l'altimètre, les sommets, la neige, les marmottes. Tous les trois virages, on boit un coup (ne pas se déshydrater en haute montagne !), et tous les six virages, on s'arrête pour soulager nos vessies… Et ainsi, vers 12 heures, on est enfin arrivés au Khunjerab Pass ! Incroyable ! Cette route de la soie est vraiment un défi face aux éléments climatiques et géographiques. Faut croire que l'amour du commerce possède une valeur éternelle…

On n'y voyait presque plus rien, tellement notre camion fumait noir (j'exagère un peu, évidemment… notre vieille mécanique a, de fait, bien supporté l'hypoxie des hautes montagnes).

Au sommet du col, il y a un énorme portique et des douaniers de figuration chinois et pakistanais frigorifiés qui regardent juste nos passeports rapidement pour ne pas enlever leurs gros gants.

Pour la forme, les douaniers chinois nous disaient : « Hurry up ! », on leur répondait : « Welcome in China ! ».

On s'est lancé quelques boules de neige « made in China », on a couru dans la boue « made in China », on a respiré l'air « made in China », et on a avancé nos montres d'une heure, local time de la province du Xinjang.

Deux kilomètres après le col, on trouve un check post chinois tout moderne. On nous avait dit que les officiels chinois avaient le sourire difficile, et, pourtant, on a réussi à les faire marrer un peu en leur montrant nos aimants sur le frigo (super comiques) et en prenant des postures ridicules lors du « body check » dans une espèce de cabine prophylactique où notre corps se fait scanner en 3 D. Comme une bobette, pour faire la conversation, j'ai demandé au douanier combien il avait d'enfants. La réponse fut brève : un seul… Ben oui, forcément !

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Et, après une heure, on a enfin pu repartir, avec notre poubelle du Pakistan encore accrochée à l'arrière du camion… Elle avait dû survivre au contrôle anti-parasite ! Par contre, on a dû embarquer avec nous une petite caméra collée au pare-brise, afin de vérifier qu'on continuait bien sur la bonne route jusqu'au poste d'immigration, à Tashkurgan, à 120 kilomètres. Le scotch posé sur le pare-brise devait être « made in China », car, assez vite, la caméra a pendouillé dans le vide, et sa carte mémoire s'est remplie après le 3ème kilomètre… Mais bon, l'administration chinoise était rassurée d'avoir l'impression d'avoir la situation sous contrôle ! D'ailleurs, ils ont oublié de récupérer leur engin. Nous avons donc toujours avec nous le petit mouchard…

On croyait qu'on allait devoir faire le trajet avec un gentil Chinois pendant tout le temps, mais, la surveillance, en Chine, est plus discrète, plus maligne (comme une tumeur du même nom, dont on ne peut se débarrasser malgré tous les progrès de la science et de l'humanité). 

A un moment, sur la route qui nous menait à Tashkurgan, on s'est arrêtés sur le bord de la route pour que Coralie aille aux toilettes. Aussitôt, le camion qui roulait derrière nous nous a dépassés puis s'est arrêté juste devant nous en klaxonnant fortement. On s'est dit que la solidarité entre routiers n'étaient pas une légende, et on a fait des grands signes au conducteur pour lui dire que tout allait bien, mais, alors, un policier chinois est sorti du côté passager du camion et nous a ordonné de redémarrer pour aller, sans nous arrêter, au poste d'immigration de Tashkurgan. Dans sa main se trouvait le passeport d'Olive… Et, en plus de la caméra, du Chinois planqué dans le camion, il y a encore des portiques avec des caméras tous les 30 kilomètres sur la route, qui flashent tous les véhicules… Liberté, j'écris ton nom…

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L'arrivée à Tashkurgan, qui est une petite ville encore à 2'800 mètres d'altitude, a été déprimante… Les maisons sont toute pareilles, les avenues gigantesques, c'est le communisme en pleine face, les lendemains qui chantent avec un métronome pour hymne national ! Comment imaginer qu'on allait faire le bonheur des gens en les enfermant dans la même tapisserie pour tous, les mêmes petites vérandas ridicules peintes en rouge ? A voir cette uniformité misérable, j'en devenais presque ultra-libérale, juste pour mettre un peu de rose sur la porte d'entrée.

Et, du coup, il était déjà 16 heures, heure locale, mais 18 heures, heure de Pékin, et la douane allait bientôt fermer.

Notre contact chinois est enfin arrivé, nous a fait remplir trois papiers et nous a expliqué que notre camion allait être mis « en quarantaine » pendant la nuit, en attendant que les bureaux de douane rouvrent le lendemain. 

On a donc dû rapidement préparer quelques affaires dans un sac, puis on est partis à la découverte de la riante ville de Tashkurgan, ses distributeurs, ses hôtels, ses restaurants, et ses boucheries à ciel ouvert…

Avec Dean et Sally, on a trouvé une auberge de jeunesse bien proprette, avec des bières fraîches au bar, un billard pour les enfants, le bonheur !

Et, ensuite, on est allés se battre avec nos baguettes dans un petit bouiboui sympathique où on a choisi 6 plats au bol, en faisant de grands sourires et en plissant les yeux pour avoir l'air de bien s'intégrer. On s'est régalé pour trois fois rien. Ensuite, il était déjà 1 heure du matin, heure de Pékin, 23 heures, heure locale et 22 heures, heure de notre pendule interne pakistanaise, bref, il faisait nuit et on est allé se coucher.

Et le lendemain, ça a encore été très long… Notre contact chinois s'appelle « Sadiq », et c'est effectivement un psychopathe de l'administratif ! Le problème, avec Sadiq, c'est qu'il ressemble à s'y méprendre au cousin Pedro Fernandez di Gonzales de la banlieue sud de Séville. Il a la peau un peu basanée, les yeux délicatement en amande, il porte des Ray Ban sur la nuque car il n'y a pas de soleil, un blouson en cuir et des petits mocassins (mais sans les glands de pacotille). Du coup, on a tendance à croire qu'il pense « européen » et agit « européen », mais, en fait c'est bien du pur chinois !

Et, un bon Chinois, ne sait pas dire « oui » ou « non » (quel dommage que tout un peuple se prive d'un jeu si sympathique, n'est-ce pas ?… perdu!), un bon Chinois ne répond jamais directement aux questions et un bon Chinois n'envisage jamais une journée dans sa continuité. 

Du coup, pendant 5 jours, on n'a jamais compris pourquoi il fallait attendre, à quelle heure on allait pouvoir partir, comment allait s'organiser la suite, pourquoi il fallait tout à coup payer des taxes secrètes, et on s'énervait après le pauvre Sadiq. Alors que, s'il avait ressemblé plus à M. Ching des quartiers nord de Shanghai, on aurait mieux respecté le mystère chinois…

Enfin, finalement, vers midi (alors qu'on s'était levé à 7 heures du matin!), on a pu récupérer notre camion et repartir pour Kashgar, qui est encore à 250 kilomètres… On a traversé des paysages magnifiques. On s'est arrêté au bord d'un lac, avec des chameaux et des cavaliers qui habitaient dans des petites yourtes typiques, c'était très dépaysant ! La route, par contre, était vraiment pourrie sur la moitié du trajet et il a plu sans discontinuer… Encore un coup de l'administration chinoise pour nous casser le moral !

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A Kashgar, la pluie avait cessé et nous avons pu ainsi admirer les belles avenues droites et gigantesques de cette antique cité dans toute leur splendeur ! Le gouvernement chinois entreprend, depuis quelques années, de détruire systématiquement tous les quartiers de la vieille ville, qui datent tout de même d'une époque fort lointaine, ce qui donne un côté totalement déshumanisé à cette vieille ville mythique.

Sadiq nous a « négocié » pour un prix de cochon une place de parc dans un immense hôtel à l'abandon au centre ville, sous la ventilation de la cuisine et à côté d'un gros projecteur, en nous expliquant qu'on devait rester garé ici pendant 4 nuits (du jeudi au lundi matin), du temps qu'on ait notre plaque minéralogique chinoise… On n'était pas très contents, mais le discours de Sadiq était bien rôdé (« Hey, guys, you are now in China, it is no more Pakistan, you can't do what you want… »). 

Pour faire avaler la pilule, on est allés manger dans un petit bistro sympathique avec Dean et Sally qui dormaient dans un hôtel pas loin. Comme on ne comprenait rien à la carte (tout est écrit en chinois partout, sur les panneaux routiers, sur les enseignes des magasins, sur les plaques de rue… on se retrouvait dans la peau de l'analphabète qui doit peser ses courgettes sur la balance de carrefour market!), le cuisinier nous a ouvert son frigo, on a choisi les légumes, et son congélateur où on a choisi la viande et, 15 minutes plus tard, on mangeait des plats délicieux sautés dans un gros wok. Une fois de plus, on s'est régalés !

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Et ensuite, on a attendu lundi, pour que nos plaques soient prêtes et qu'on puisse quitter notre parking. Le temps était très étrange, on aurait dit que c'était la fin du monde… Il y avait eu une tempête de sable le jour d'avant sur le désert du Taklamaka et toute la poussière de sable s'est abattue sur Kashgar pendant deux jours… Le soleil était voilé en permanence et la ville ressemblait à Pompéi un soir de février…

Pour s'occuper, on a sorti les vélos et parcourus les allées marchandes de la ville (les avenues sont tellement larges qu'il y a, partout, deux double-voies, un trottoir et une piste cyclable pour les scooters, ça laisse de la marge pour slalomer entre les véhicules). On est allés visiter ce qu'il restait de la vieille ville. On a même fait un tour dans une grande roue, la tête dans le nuage de sable et, le soir, on est allé manger chez des petits marchands dans la rue, animation garantie. Le lendemain, on est allés à la foire aux animaux, dans la banlieue, puis au bazar du dimanche. On a croisé plus de gens en une journée que durant tout notre séjour au Pakistan ! En fait, ça faisait du bien de se poser un peu et de goûter l'air chinois pendant quelques jours !

En plus, Dean et Sally sont vraiment des gens très gentils, on a passé de bons moments avec eux. On a même partagé une petite bouteille de Cabernet-Sauvignon chinois, mieux que du Niokman fermenté en tonneau !

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Et, lundi 15 mai, il était déjà temps de quitter la Chine. On avait à peine eu le temps de changer nos dernières roupies pakistanaises, de maîtriser le taux de change et de dire bonjour avec l'accent des faubourgs (j'adorais dire : « Nihao », ça sonne comme une bonne accolade!) qu'il a fallu déjà changer de pays. D'un côté, on était super frustrés de devoir partir si vite, sans avoir rien eu le temps de connaître de l'âme chinoise. Et, d'un autre côté, on était un peu « oppressés » par toute la surveillance qui régnait autour de nous : pas le droit de bouger, pas le droit de se connecter (google, facebook, whatsapp, messenger, tout ce qui est marrant est interdit… heureusement que je pouvais encore me connecter à ma messagerie pédagogique de l'école, ça fait rêver!).

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Et donc, on est reparti à l'assaut de la montagne, mais côté ouest, en direction du Kirghizstan. Bien sûr, il y a un poste de douane 100 kilomètres avant le col, mais nous sommes désormais rôdés avec cette pratique. Nous y étions pour 11 heures, heure de Pékin, afin de pouvoir enfin toucher nos plaques minéralogiques chinoises (mieux vaut tard que jamais) et le permis de conduire chinois d'Olive. Sauf que notre infortuné Sadiq a un peu pétouillé pour faire les démarches de sortie, et ce n'est que vers 14h30, heure de Pékin, qu'on a pu enfin arriver au Torugart Pass, qui est le col qui relie la Chine au Kirghizstan. La route est moins impressionnante qu'entre le Pakistan et la Chine, le col n'est « qu' » à 3600 mètres, mais cela reste magnifique !

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Et, quand on arrive tout en haut du col, c'est très drôle, il y a un joli portail en fer forgé qui est fermé avec un petit cadenas ridicule, comme on en met sur le casier à la piscine.

Sauf que, et c'est là que c'était moins drôle, à l'heure de Pékin, c'était encore la pause de midi, et il n'y avait pas de douaniers pour ouvrir le portail.

On a donc attendu pendant une heure que les douaniers finissent de se brosser les dents, le camion garé devant le petit portail. Tout à coup, un véhicule blindé est arrivé. Un douanier chinois est descendu et a sorti une petite clé ridicule de sa poche, et il a ouvert le portail. Entre temps, un vrai mauvais temps digne des pires expéditions à l'Everest s'est abattu sur le col et c'est dans une épouvantable tempête de flocons de neige cinglant à l'horizontal qu'on a quitté l'Empire du Milieu… On en a presque oublié de faire un dernier bisou à Sadiq, qui se gelait dans ses petits mocassins mouillés !

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