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Vendredi 23 octobre 2015

 

Depuis le 17 octobre, on est entré dans le pays du hasard…

 

Le bel hasard, le hasard de base, le vrai hasard, celui qui se traduit par « bonne fortune », « surprise ». La langue ne nous a pas menti.

 

Rien n'est prémédité et tout devient chance, occasion, une belle veine qui laisse couler un sang heureux de jouer aux dés.

 

On pourrait croire que, depuis qu'on est entré en Iran, on a avalé 50 pilules roses qui rendent la vie meilleure.

On ne croise que des gens extrêmement gentils, prêts à offrir tout ce qu'ils ont à portée de main pour nous souhaiter la bienvenue dans leur pays.

 

A la douane, l'effet magique n'avait pas encore opéré et on n'y a rencontré que des fripouilles obséquieuses, hargneuses, bafouilleuses et magouilleuses. 

 

Mais on s'y attendait un peu.

 

A la base, nous voulions entrer en Iran par une petite douane au sud-est du lac de Van, mais la proximité de la Syrie et du PKK ont provoqué la fermeture de cet endroit aux touristes 15 jours avant notre venue.

 

 

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Environ 15 kilomètres avant la douane, juste après Doguyabazit, on s'est arrêté pour se déguiser : habits à manches longues, voile, chaussettes. Nos camions aussi avaient été nettoyés, shampouinés, rangés pour que même un douanier suisse tombe en extase.

 

10 kilomètres avant la frontière, on a remonté une immense file de camions. Des tonnes de marchandises sur roues qui entrent par une seule petite porte en Iran. Un chauffeur routier nous a dit qu'il attendait parfois 4 jours pour passer la douane…

 

Arrivés sur place, après avoir essayé de trier qui était un officiel (en uniforme) et qui était un escroc (en veston), on a été séparés en deux équipes : « driver », « no-driver ».

 

Avec les enfants, j'étais « no-driver » et on a passé la douane à pied, au milieu d'hommes chargés de sacs remplis à craquer de toutes sortes de marchandises « made in Turkey » qui passaient de main en main sous les yeux du douanier. On était comme dans un grand hall de gare un peu sombre, avec des télévisions à écran plat qui diffusaient la TV iranienne. C'était très calme, bien qu'il y ait plein de gens partout. Les guérites des douaniers étaient discrètement situées dans des endroits improbables, vers lesquelles on se dirigeait lentement, comme poussés par une petite brise tranquille sur un lac endormi.

 

Les enfants ont dû tremper leurs 10 doigts dans l'encre bleue pour enregistrer leurs empreintes, mais je n'ai pas eu droit à ce traitement de schtroumpf, car les Suisses n'ont pas besoin de se salir les mains pour entrer en Iran (principe de réciprocité).

 

Pour les « driver », c'était un peu plus compliqué, car il fallait montrer le carnet de passage en douane du camion à la bonne personne, et un soit-disant officiel (pourtant en veston) s'en était chargé. Comme on ne voulait pas payer ses services, ça commençait à devenir long… Cédric s'est fait des pâtes chinoises pour patienter, puis on a quand même laissé quelques sous pour récupérer tous nos papiers.

 

Aucun douanier n'est monté dans le camion, car c'est moi qui avais les clés pendant que j'étais dans l'équipe des « no-drivers ». On était super déçus que ça se passe si bien !

 

Une fois en Iran, les paysages étaient les mêmes, la file de camions faisait aussi 10 kilomètres et Bazargan était très moche, avec plein de gens qui voulaient nous vendre des assurances et faire du change à un taux horrible…

 

Du coup, on est parti dans les montagnes pour aller voir une petite église arménienne perdue, l'église Saint Thadée, et retrouver un peu de calme.

 

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Depuis le lundi 19, on a quitté nos amis pour découvrir l'Iran « en solo », à notre rythme familial. Et pendant toute la semaine, on n'a pas arrêté de faire des rencontres, à chaque fois au hasard de la route.

 

Lundi, on cherchait un endroit pour manger à midi, et un monsieur s'arrête à notre hauteur, car il avait vu nos plaques italiennes et il fait du transit routier entre l'Iran et l'Italie une fois par mois.

 

Du coup, il nous a invité à manger chez lui. On s'est retrouvé dans une belle maison, avec un salon gigantesque plein de tapis et de bibelots qui brillent. Pour mettre la table, la dame a juste posé une nappe en plastique au milieu du salon, envoyé son fils chercher à manger dans un petit restaurant et disposé plein d'assiettes. On s'est régalé d'une soupe bien épicée, poulet, riz, tomates. Coralie était super heureuse de manger par terre ! On a passé l'après-midi à regarder des photos, à se montrer nos familles, les enfants ont joué au foot avec ceux du quartier et, en fin de journée, Mostava (le mari) nous a emmené faire du change chez ses copains garagistes.

 

L'argent, c'est chaud à comprendre, car la monnaie iranienne n'est pas très forte, et on est très vite millionnaire…

1 euro vaut environ 40'000 rials, mais comme ça fait beaucoup de zéros, on dit aussi que 1 euro vaut 4'000 tomans, mais le toman n'existe pas, on ne paie qu'en rial…

Du coup, il faut être super attentif au nombre de zéros et là, avec 300 euros, on s'est retrouvé avec 12 millions de rials en coupure de 100'000 et 500'000. Ici, les gens n'ont pas de portemonnaie, tout ce papier ne rentre pas dedans ou il faudrait une boîte à chaussure…

 

Avec ça, il était déjà 19 heures, tout le monde voulait nous inviter à souper, mais on a prétexté un rendez-vous ailleurs et on s'est posé dans les champs, entre deux peupliers.

 

Le mardi, un vieux monsieur à Tabriz nous a invité pour le thé, mais on a préféré se balader dans le bazar, au milieu des épices, tapis, brosses à dent, pistaches et viande crue qui pendouille…

 

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Le mercredi, on est parti dans les montagnes. On avait repéré sur toutes nos cartes un cheminement possible pour aller directement à un endroit volcanique avec un sanctuaire très ancien qui s'appelle Tahkt-e-Salomon. 

 

En fin d'après-midi, la route semble s'arrêter dans un village. C'est l'heure de la prière, les hommes vont à la petite mosquée, un vieux monsieur nous montre où nous garer, loin du torrent et des fils électriques.

 

 

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Le lendemain, deux jeunes filles nous amènent 5 kilos de pommes ! Seb avait anticipé et leur avait préparé un cake au citron. On nous indique un chemin jusqu'au village suivant.

 

Dans chaque village, c'est délicat… Il n'y a que des petits chemins en terre défoncés, des poules à gauche, des enfants à droite, des fils électriques partout et un labyrinthe de petites maisons en terre au toit plat, avec des tas de paille et des tas de bouses aussi grands que la maison. Le jeu consister à se faufiler là au milieu de toutes ces choses fragiles, tout en disant bonjour, d'où on vient, où on va, comment on s'appelle, combien on a d'enfants, combien coûte le camion, comment va notre poisson rouge et à quand remonte notre dernière visite chez l'ophtalmologue (j'exagère un peu…).

 

Pendant que les hommes soulevaient des fils électriques avec des petits bâtons fourchus, les femmes nous invitaient à manger… mais on a continué car on avait peur qu'il se mette à pleuvoir. Un homme à moto nous a accompagné sur 30 kilomètres de piste pour nous montrer le bon chemin. Le paysage était magnifique, sauvage.

 

On a ainsi pu dormir le soir au pied du petit cône volcanique de Tahkt-e-Salomon. C'est impressionnant, il y a des vasques d'eau chaude qui puent tout autour et, sur un autre cratère volcanique rempli d'eau, les Anciens ont carrément bâti une cité avec un feu sacré.

 

 

 

Le lendemain, c'est un jeune berger et son frère qui nous ont préparé un petit déjeuner royal à 50 mètres du camion : pain, beurre, miel, confiture, thé et fromage de bique sur fond musical kurde diffusé par le téléphone portable du berger. Ce jour-là, on a décidé qu'il n'y avait plus besoin de faire école et que c'étaient les vacances.

 

 

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Là, on était déjà vendredi, et il fallait encore faire 800 kilomètres pour retrouver nos amis dimanche… Du coup, le programme est devenu basique : rouler, rouler et rouler encore.

 

On s'est quand même arrêté vers Zanjan pour visiter un mausolée mongol, mais il était fermé car c'était un jour spécial pour tout le pays : Achoura. C'est une fête typique chiite où on commémore la mort de l'imam Hussein en se flagellant, en s'habillant en noir et en tapant sur des gros tambours (enfin, surtout les hommes… les femmes ont juste des gros châles noirs). Pour voir le cortège, on s'était garé juste devant une mosquée… pas terrible. On nous a gentiment expliqué qu'on bloquait l'entrée, tout en nous offrant des pommes.

 

 

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Du coup, pendant deux jours, tout était fermé, mais ça ne nous préoccupait pas, puisqu'on devait rouler, rouler et rouler encore.

 

En Iran, les gens une fois dans leur voiture se métamorphosent : ils perdent toute courtoisie et sens du réel et doublent dans tous les sens. Les routes elles-mêmes changent d'une minute à l'autre : une section bien goudronnée à double voie, puis un ralentisseur énorme mais invisible, couleur goudron, puis nids de poule et terre battue… C'était dur de faire plus de 300 kilomètres par jour.

Je conduis un peu, histoire de promouvoir une image de femme libérée, mais je me prends les cheveux dans mon voile quand je regarde les rétroviseurs et la gestion de la route trouée est un peu fatigante…

 

Samedi soir, on était enfin arrivés à Qom. On s'était promis de ne pas rouler de nuit, mais on avait envie d'arriver à destination. Dès le crépuscule, en 30 minutes, c'est devenu l'horreur mécanique : une voiture dans le fossé sur le toit, une moto en mille morceaux, une voiture encastrée dans un poteau téléphonique, avec des gens qui continuent à te doubler comme des fous bien qu'il y ait l'ambulance, la police, les gens blessés toujours habillés en noir avec des drapeaux colorés pour Achoura…

 

Comme on avait de la peine à trouver un bivouac tranquille dans la banlieue de Qom, deux hommes à moto nous ont emmené à la mosquée, un gigantesque bâtiment magnifique au pied du périphérique… Le bruit des camions, les klaxons, le prêche de l'imam diffusé aux 4 points cardinaux et les chants religieux, on s'est dit qu'on allait être tranquilles…

 

Comme on n'avait pas envie de vexer les gens qui nous avaient amenés ici, et comme il était déjà tard, on s'est garé pour la nuit. Et là, on a reçu la visite de tous ceux qui fréquentaient la mosquée : le directeur avec un plateau de thé, l'assistant avec une boîte de sucre, un couple avec une immense boîte de riz aux lentilles et un autre couple avec trois boîtes de riz à l'agneau, notre souper était prêt.

 

Alors qu'on commençait lentement à digérer, un jeune couple nous a enore amené une assiette avec des pommes. Ils s'étaient installés dans une petite alcôve extérieure de la mosquée, en face de nous, sur un tapis, et ils pique-niquaient tranquillement. Alex et Coralie leur ont ramené l'assiette avec des biscuits et on les a vus s'installer sur le tapis avec le couple pour partager le thé. On les a rejoints, on s'est montré nos photos, on a appris plein de mots farsi, on a bu le thé et on s'est échangé nos numéros pour aller sur what's app… standard.

Puis la maman de la jeune fille nous a rejoint et a allumé deux narghilés, l'un à la pomme et l'autre à l'orange, la soirée était parfaite.

 

Le lendemain, le muezzin a sonné 5 heures du matin, puis il s'est rendormi, mais pas nous. On a alors quitté la banlieue ouest de Qom pour aller dans la banlieue nord, quartier des garages, pour réparer un axe de roue qui avait pris un peu de jeu, le coquin. Un étudiant qui avait 3 heures de libre dans sa matinée est resté avec nous pour faire le traducteur. Après, c'était déjà midi, tout le monde voulait nous inviter à manger, mais on devait repartir pour rejoindre nos amis à Kashan et faire les courses, car on part pour 10 jours dans le désert.

 

 

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Mercredi 4 novembre 2015

 

Avec toute notre équipe, on a vécu notre traversée du désert…

au propre, comme au figuré.

 

Un glissement de terrain subit, qui fait surgir des terres à vif et laisse s'enfouir d'autres portions dans un magma bouillonnant, pétrifiant.

 

Esthelle n'avait plus la force, l'envie, le désir, la passion de continuer ce voyage, dans lequel elle ne se retrouvait plus. Du coup, elle rentre en France.

Cédric, de son côté, a également souhaité quitter l'Iran plus rapidement, pour d'autres raisons, liées à son travail et à ses convictions. Du coup, il rentre également en France.

 

Lundi passé, le 26 octobre, ce n'était pas drôle.

On sentait qu'on laissait partir de beaux moments de partage, de rire et de complicité (ça fait bateau, mais c'était vrai !).

 

Quelque chose semblait inabouti, on aurait dû continuer ce voyage ensemble, et pourtant nos directions devenaient irrémédiablement opposées… Heureusement que la terre est ronde, on a plus de chance de se retrouver, de l'autre côté.

 

Mais quand même, on est vraiment tristes pour Esthelle et Cyril, et on ne peut qu'espérer que l'avenir réussisse à faire à nouveau rayonner ces deux personnalités si belles, si fortes.

 

De notre côté, on va s'habituer aussi à l'idée de continuer ce voyage seuls.

 

On se pose plein de questions : qui saura nous mettre la valve d'aplomb ? nous préparer des taboulés divins ? nous faire des improbables feux de brindilles avec cuisson parfaite de la côtelette d'agneau ? nous jouer la carmagnole à la guitare ? nous guider dans nos fonds de cartes ? nous faire de vraies coupes de cheveux professionnelles ? nous attendre pour qu'on soit enfin prêts ?

 

Mais on a aussi plein de certitudes : on devrait être capables d'y arriver ! (même si ça nous coûte 10 fois plus cher. On comptait partager les frais de transport pour l'Inde et pour la traversée de la Chine).

 

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Du coup, pour nous changer les idées, nous sommes partis à l'assaut des dunes de l'ouest du Dasht-e-Kavir avec pour seul compagnon Cyril et son IVECO. 

 

On a passé une semaine vraiment belle, dans des endroits magnifiques, minéraux, colorés, habités par le vent et les touffes clairsemées… Enfin, je simplifie un peu car, le matin, le sable nous révélait toute la vie nocturne du désert, combat de petites pattes contre les grosses pattes, chemins sinueux de chacals et gros coeurs aplatis de dromadaires…

 

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C'est ce qui est si étrange dans le désert, ce mélange de plénitude et d'effroi, de grâce et de crainte.

 

On est à la fois si heureux de découvrir un univers « inhumain », une « terra incognita » à notre échelle, où tous les sons paraissent naturels, où chaque roche se laisse apprécier dans un premier regard. C'est un peu la création du monde jouée juste pour nous (surtout quand on a un aussi bon guide que Cyril, qui sait « naviguer » dans les dunes avec finesse et habileté).

 

Mais, d'un autre côté, on est tendu par tout ce qui, potentiellement, doit être évité : le scorpion malicieux sur lequel Coralie pourrait marcher, le nid de bestioles bizarres qu'Alex pourrait déterrer en creusant des trous dans le sable, la chute tragique que Seb pourrait faire en sautant à vélo dans les dunes, et le camion qui pourrait virer de bord…

 

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Au final, le désert, c'est une expérience magique quand on a le plaisir de la raconter une fois la journée bien terminée.

 

Pour le détail de notre trajet, on a mis trois jours pour essayer de relier l'ouest du désert Dasht-e-Kavir à son extrémité est, mais on n'a jamais réussi à s'éloigner de plus de 40 kilomètres à l'est…

 

Le premier jour, on a bien avancé dans un paysage de dunes et de « lac » salé asséché. 

Mais le deuxième jour, on n'a pas trouvé de passage entre deux massifs montagneux, et le troisième jour, on est tombé sur un garde du parc national qui a refusé qu'on aille plus à l'est, nous escortant à moto jusqu'à notre premier bivouac, pour être sûr qu'on ne revienne jamais sur nos traces. C'était un peu le jeu du chat et de la souris. Il est venu en moto avec nous sur une vingtaine de kilomètres, puis il a essayé d'appeler son copain Massoud resté à la base pour lui dire qu'on ne voulait plus rouler au nord, mais qu'on préférait revenir à l'ouest. Il est monté sur le toit de notre camion avec sa petite radio dans laquelle il appelait « Sofida, Sofida » (c'est le nom de la station perdue dans le désert où se trouvait son collègue Massoud), mais seuls les crépitements solitaires de la radio lui répondaient. Du coup, on est reparti à Sofida ensemble, on lui a dit qu'on savait comment ressortir du désert. Mais Reza le motard était méfiant… et il nous a rattrapé une heure plus tard pour bivouaquer avec nous.

 

 

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On n'a jamais su si c'est nous qui étions une menace pour le désert ou l'inverse… mais on a partagé un bon plat de pâtes avec ce gardien peut-être trop zélé.

 

Du coup, on est revenus à Kashan et c'est par la route que nous sommes allés à Chupacan où on a essayé de traverser un erg de dunes magnifiques pour rejoindre Jandaq. Les dunes étaient trop enchevêtrées, alors on a juste fait un très beau bivouac et, le lendemain, on a découvert un cheminement très réussi pour relier Jandaq à Mesr par une route « inventée » par Cyril et vraiment splendide. 

 

 

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Avec Cyril, on s'est quitté à Khor. Nous sommes partis pour Ispahan pour renouveler notre visa iranien (on a encore tellement de choses à voir!) et visiter cette ville, tandis que Cyril voulait encore profiter de faire un petit tour dans le désert de Dasht-e-Lut.

 

Depuis deux jours, on a une vie citadine à Ispahan, j'adore. On s'est garé dans le parking d'un hôtel 5 étoiles, le Abbassi Hotel, où on capte le wi-fi depuis notre camion. Il y a une place de jeu juste à côté, et on est à 5 minutes à pied de la fameuse place de l'Imam. On a l'impression d'être un peu « Ispahini », on papote avec les dames de la place de jeu et le gardien du parking, tout en allant chercher 3 citrons pour le souper.

 

Maintenant, l'automne est bien installé, il fait presque un peu froid et on apprécie même le voile pour nous tenir chaud !

 

 

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Samedi 14 novembre

 

Depuis Ispahan, nos rencontres ont été un peu moins magiques.

 

Un chauffeur de taxi a voulu nous arnaquer, on n'a pas arrêté de se faire solliciter dans le bazar par d'authentiques marchands de tapis, on a rencontré des Français qui avaient « fait » 47 pays et, surtout, à une station service, les 4 pneus de notre camion ont reçu 4 gros coups de couteau, faisant de belles entailles sur la gomme. Ça a dû se passer très vite, car on est juste descendu du camion 10 minutes pour papoter avec une équipe de Bâlois en partance pour Djibouti et, le soir, au bivouac, on a vu de grosses fentes sur nos pneus. Heureusement, la gomme est énorme et très épaisse, alors on peut encore rouler avec 2 pneus pas trop abimés, et on a mis nos 2 roues de secours à la place de ceux qui étaient entaillés d'environ 1 centimètre de profond. 

 

Sale coup pour le moral, c'est toujours moche de rencontrer de la méchanceté gratuite…
Le seul « avantage » de cette mésaventure, c'est que nous sommes un peu redescendus sur terre et qu'on est redevenus un peu plus vigilants par rapport à la convoitise qu'on pourrait susciter.

 

Avant de rejoindre Cyril à Kerman pour découvrir avec lui un autre désert, on s'est arrêtés deux jours à Yazd pour se refaire une beauté.

 

On a fait nettoyer tous les draps, les linges et les serviettes, on a fait valser les chiffons à poussière dans tous les recoins du camion et on a retendu la courroie de l'alternateur, gestes classiques quand on veut que ça sente bon et que tout fonctionne.

 

On était garés sur un petit parking à côté d'un hôtel-restaurant recommandé  par Lonely Planet, alors, pendant deux jours, on n'a pas arrêté de répéter dix fois la même chose à des Canadiens, des Thaïlandais, des Anglais, des Français, des Américains, on en avait presque un peu marre.

 

Mais Yazd est une très jolie petite ville, avec des rues en labyrinthe, un bazar plein de bijoutiers et une rue principale bien animée. Ils ont même des « climatiseurs » ancestraux, des espèces d'énormes tours percées de trous (pour que le vent circule) et de bâtons (pour que la tour ne s'effondre pas au premier tremblement de terre), c'est très joli au soleil couchant.

 

A Kerman, on a retrouvé Cyril chez un étudiant, Hossein, que Cyril avait rencontré quelques jours auparavant quand il faisait des repérages pour entrer dans le désert. Hossein nous a montré des endroits bien animés de Kerman et, avec son copain Mehrdad, on a passé une belle soirée. Ils sont anglophones tous les deux, et c'était marrant de voir qu'on connaissait les mêmes films (Mehrdad est fan de « cinéma paradiso »), mais qu'on avait vécu une autre jeunesse. Tous les deux rêvent de partir au Canada, pour pouvoir tranquillement boire une petite bière entre amis.

 

Et ensuite, le lundi 9 novembre, après avoir fait les pleins d'eau, de gasoil, de tomates et de pâtisseries, on est parti à l'aventure.

 

Encore un autre désert, un autre décor, une autre ambiance.

Cette fois, on est au Dasht-e-Lut, le désert du vide.

C'est impressionnant.

 

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Moi qui rêvais de ce voyage pour partir à la découverte des gens, d'échanges d'humains à humains, voilà que je suis fascinée par ce vide plein de minéraux.

 

Les grains les plus petits s'accumulent pour former des chaînes de montagnes, des vallées, des ruisseaux fossilisés.

D'énormes roches s'estompent dans le vent et la pluie.

 

Le soir, on n'entend juste rien, on est sur une mer de pierres à l'arrêt.

On voudrait tirer des bords, glisser vers l'horizon, mais rien ne bouge.

 

La journée, c'est plus bruyant. Deux moteurs d'IVECO qui grimpent des côtes en 1ère vitesse courte, c'est moins poétique. Et quand on s'arrête, les appareils photos crépitent, les enfants sautent dans les dunes et on passe notre temps à parler : « C'est fabuleux, c'est fantastique », « Ouais, c'est excellent », « T'as vu, dans la section de mou, on enfonçait jusqu'à la jante », « je monterais bien en haut de cette dune », « mets des chaussures », « te roule pas dans le sable, y a peut-être un scorpion », « joue pas vers les buissons », « allez, on repart, on s'arrêtera plus longtemps dans un petit moment », « non, c'est pas encore l'heure de manger ».

 

 

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Ce qui est génial, c'est qu'à plein de moments, les camions ne vont pas très vite, alors moi je suis à vélo, et je me régale.

Je fonce dans le sable, pneus dégonflés et muscles à l'affut du moindre changement de grains (je ne suis pas très habile… souvent je me « plante » en voulant monter une dune par le côté mou, alors je marche et me remplis les chaussures de 6 kilos de sable).

 

C'était vraiment une semaine magnifique.

 

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Dimanche 22 novembre 2015

 

Changement d'ambiance, de climat, de décor.

 

Finie la petite pluie dans le désert (une matinée, … pas long, mais c'était moche), les nuits à zéro degré, les feuilles mortes  qui tourbillonnent et s'amoncellent en tas poussiéreux, la lumière grise et rasante de l'automne, le vent du nord qui ressemble à n'importe quelle bise occidentale un peu mordante.

 

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L'hiver, en persan, se dit « zemestan ». ça résonne comme un médicament anti-dépresseur, prescrit sur le long terme, à prendre juste avant une soupe bien chaude accompagné d'un brochette tendrement rôtie.

 

Mais en deux journées de route, on est revenu aux plus chaudes journées d'août, avec l'humidité en plus et le bruit des courtes vagues du golfe persique.

 

La côte sud de l'Iran doit être inscrite au patrimoine mondial de la défiguration industrielle et du délabrement minéral. 

C'est une succession de pylônes, de pipe line, de dockers, de tankers, et de roches effritées mangées par le vent et la pluie (enfin…quand il pleut, car, actuellement, il fait 30 degrés et pas un nuage à l'horizon).

 

En plus, on apprécie vraiment, dans toute son horrible vanité, le pouvoir du pantalon, des manches longues et du voile.

Effectivement, je ne dois plus faire fantasmer personne avec mon visage turgescent, mes aisselles ruisselantes et mon envie de plonger tout homme vivant dans un bain de lave en fusion pour lui faire comprendre mon humiliante condition féminine.

 

D'ailleurs, pour accentuer le malaise, je me suis fait une petite intoxication alimentaire de 24 heures. Rien de bien méchant, mais juste de quoi me faire craindre les trois prochains mois qui vont, pour nous, être placés sous le signe du soleil : Dubai, Oman, puis l'Inde… Vivement le Népal et ses bonnets en poils de yack.

 

Mais aujourd'hui, c'est le bonheur. On est depuis deux jours sur l'île de Qeshm, un peu au sud-ouest de Bandar Abbas. On a trouvé une plage de rêve pour bivouaquer quelques jours. 

Le vent est frais, je suis en maillot de bain et ma seule contrainte est de chasser les quelques mouches qui viennent agacer notre quiétude.

 

Les enfants se régalent dans l'eau du matin au soir et Olive répare, nettoie et améliore tout ce qu'on avait remis à plus tard (réparer les pneus de vélos, nettoyer le filtre à gasoil, fixer une boîte de coca sur le pot d'échappement du groupe électrogène).

 

 

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Sur l'île, il y a une autre ambiance que sur le continent.

 

C'est un mélange de riches Iraniens en vacances ou en week end et de gens locaux discrets mais parlant presque tous anglais. Alors que, de Kerman à Bandar Abbas, c'était « farsi balladid » (vous parlez farsi), plutôt qu' « engelesi ». 

 

Mais comme ça fait maintenant un mois qu'on écoute les différents accents de l’Azerbaïdjan occidental au Balouchistan, on est devenu des pros de la conversation basique : « bozorg kebab koubideh » (gros kebab de viande hachée de mouton) et « chand e » (combien ça coûte?) sont nos expressions favorites, en plus de « salam » (bonjour) et « khodahafez » (au revoir). Mes maigres connaissances en farsi, acquises grâce aux longues heures de route monotones sur chaussées longilignes consacrées à l'étude du « persan express », nous ont même valu un tarif préférentiel pour la traversée en ferry de Bandar e Pol à Qeshm, sans parler de la boîte de biscuits offerte lors des formalités avec les différents officiers (l'île de Qeshm est « duty free »).

 

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Ce que j'adore vraiment, après quatre semaines dans un pays, c'est cette impression de s'être rempli de petits détails rassurants qui rendent le voyage si agréable : on connaît plus ou moins le tarif des produits, on échange plein de petits mots qui nous font rire bêtement du seul plaisir de s'être compris, on compte jusqu'à cent et on sait apprécier la confiture locale.

 

Et ensuite, on passe une frontière, et c'est stressant.

 

On a peur de se faire arnaquer, de tomber sur des fripouilles, de tomber dans le panneau.

 

Puis on se remplit à nouveau de connaissances utiles, la chance  nous guide et le hasard nous rassure.

Les pièces du puzzle se remettent grossièrement en place, on trouve les 4 coins, on fait les bords et le cadre est posé.

 

Mais là, c'est l'heure de la baignade, avant l' « apéro » (sirop et carottes en bâton, ça fait rêver…) !

 

 

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