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Samedi 25 juin 2016

RUSSIE

L'entrée en Russie s'est faite au pas de course. On avait hâte de retrouver Cyril et Armony, qui nous avaient déjà envoyé leurs coordonnées GPS à 200 kilomètres de là, on était donc en mode « impatient ». 

Pour rappel, Cyril, c'est notre copain avec qui on était parti pour une année de voyage, avec sa femme Estelle. Sauf que, en Iran, il y avait eu un léger changement de programme… Estelle était rentrée en France, Cyril avait continué le voyage avec nous en Iran, puis on s'était quittés lors de notre passage aux Emirats. Entre temps, Estelle a retrouvé le bonheur en Bretagne, et Cyril a trouvé le sien en Armony, tout est bien qui finit bien.

 

Pour revenir à notre passage de frontière, comme on avait été assez désagréablement surpris par les formalités démentes entre le Kirghizstan et le Kazakhstan, on s'attendait à devoir à nouveau jouer des coudes dans un code inconnu, à mettre mille ans pour déchiffrer « office » et « copie » sur un formulaire où on ne savait même pas où mettre notre numéro de chaussette pendant que tout le monde allait nous doubler et rire de notre incapacité à comprendre l'âme russe des formulaires. 

Mais, la frontière entre Aqtöbe et Orienburg est relativement peu fréquentée, on avait l'impression d'être à un petit poste de campagne qui, par chance, est resté ouvert le dimanche. L'ambiance était très conviviale, les douaniers charmantes et charmants et, en moins d'une heure, on était « de l'autre côté ».

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Et là, ça a été la sale surprise ! 

La route, côté kazakh, était à double voie, belle, lisse, aussi roulante qu'un parquet fraîchement posé. Par contre, côté russe, c'était la fête de la poule et de ses nids légendaires. Le goudron était mité comme une vieille couverture en patchwork tricotée main pour les enfants déshérités, et on faisait du 20 kilomètres heure… Notre rendez-vous avec Cyril et Armony risquait de prendre des airs de fin de soirée au dernier bar ouvert à 5 heures du mat… Heureusement, après 40 kilomètres et deux heures plus tard, le goudron redevenait meilleur et on a pu reprendre un rythme de croisière.

 

C'était vraiment marrant de revoir Cyril sept mois après l'avoir quitté, sur un bivouac de rêve, au sommet d'une colline.

Son IVECO n'avait pas changé, et sa nouvelle passagère est tout à fait charmante. 

C'est drôle comme le temps semble parfois bégayer ou faire surgir des échos en forme d'ellipse. On a oublié de se dire des trucs, il y a des blancs, mais on a quand même tout compris de la trajectoire de nos voyages respectifs et les courbes de nos chemins se font et se défont en parallèle et connivence.

Et c'est là aussi qu'on a réalisé qu'on revenait de loin. 

Là où on était émus de revoir les premières églises, Armony et Cyril avaient, quant à eux, vu le soleil se lever plus tôt. 

Là où on voyait les premiers visages aux yeux ronds, avec des cheveux blonds et des pommettes tombantes, Armony et Cyril se réjouissaient des premières rencontres avec des gens aux yeux bridés.

Là où on voyait les premiers camions VOLVO, RENAULT et autres SCANIA avec des bâches internationales, Armony et Cyril photographiaient les camions KAMAZ et autres URAL des années 50.

Et, finalement, on a eu l'air un peu ridicules à l'apéro… On était si heureux d'avoir retrouvé des chips « Lays » et du Sprite, après avoir mangé pendant des mois des chips un peu étranges et bu du « Montain Dew »… Et Armony et Cyril étaient contents de nous faire goûter des petites tartines de pain local avec des oeufs de poisson locaux (et aussi un délicieux champagne qu'on a tellement apprécié!)

Au final, on a passé trois jours super ensemble. 

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Notre objectif : la découverte de l'Oural. 

Sincèrement, il n'y aurait pas eu Armony et Cyril pour nous confirmer qu'on était bien en Russie, on se serait cru dans le Jura. L'Oural, c'est plein de sapins, c'est vallonné, les prairies sont bien coiffées et  ça sent bon l'écorce. Par contre, l'hiver, ça a l'air que c'est une autre paire de manche (fourrée). Les températures peuvent descendre jusqu'à – 20°. Quand on voit leurs jolies petites maisons en bois avec des fenêtres antiques en simple vitrage, comme posées sur les fustes au petit bonheur, on se dit qu'ils doivent apprécier de rester pas loin du poêle…

On s'est promené (en camion) entre Orienburg et Ufa, pour faire court.

On est allé faire un peu de vélo le long d'une rivière, au bord d'une rivière, au fond d'une rivière, sous une rivière (bref, nos vélos étaient, on peut le dire, en mode « noyade », on avait un peu exagéré…, mais c'était rigolo). On est allé faire un peu de « spéléo » dans une grotte aux peintures rupestres pleines de mammouths soviétiques (les originaux sont dans un musée), avec des lampes antiques prêtées par la dame du guichet. On s'est un peu baignés dans une rivière à la couleur indéfinissable. Et, surtout, on a papoté pendant des heures, à rêver de notre passé et à raconter notre futur (à moins que ça ne soit l'inverse).

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Et, un beau matin, Armony et Cyril ont pris la route de l'Est, tandis qu'on prenait tristement celle de l'Ouest… 

Franchement, ça fait bizarre d'avoir, dorénavant, en permanence, le soleil dans l'oeil quand on roule l'après-midi. Tous les deux jours, on gagne une heure. Mais, à part ce léger avantage, on n'est franchement pas pressés de rentrer, et ça fait un petit pincement de voir, tous les soirs, grâce à un petit message GPS, les kilomètres parcourus par nos amis en direction de la Mongolie, pendant qu'on traîne notre mélancolie de fin de partie… 

D'un côté, on a hâte de revoir la famille, nos amis, manger du gruyère et boire un bon petit vin goûteux. Et, d'un autre côté, on fait durer, on zigzague encore un peu pour se faire croire qu'on a encore de la route devant nous. Maintenant qu'on est en Russie et qu'il n'est « que » le 20 juin, on se dit qu'on aurait encore le temps d'aller faire un tour en Ouzbékistan, au Tajikistan, faire une croisière sur la mer Caspienne ou même une descente en pédalo de la Volga…

Et, du coup, on se dépêche d'aller lentement, tout un travail.

Après l'Oural, nous sommes partis en direction de Samara, qu'on a élégamment contourné, puisqu'on était en mode « faut rentrer » et qu'on avait peur des moustiques. 

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On a fait un petit arrêt à Elets, histoire de montrer aux enfants un peu de culture chrétienne, après toutes nos belles découvertes musulmanes. Il y a dans cette ville une magnifique cathédrale orthodoxe, dans le plus pur style du Kremlin, puisque c'est le même architecte qui s'est employé à faire briller la grandeur russe dans la moitié du XIXème siècle. 

C'était comique, parce que Coralie n'arrêtait pas de dire : « Elle est grande, la mosquée » et Alexandre, alors qu'un pope révisait quelques litanies devant son pupitre, nous a demandé: « Eux aussi, alors, ils ont un muezzin ? » Et, sincèrement, ça nous a frappé comme la ferveur religieuse s'ingénie à bâtir les mêmes énormes coupoles, des allées de colonnes, des dômes en forme de bulle. Sauf que, dans l'art musulman qu'on a croisé, les murs sont tapissés de calligraphie, de fleurs entrelacées, de gouttes géométriques, de couleurs apaisées. Alors que, dans cette église, à Elets, on se sentait presque au milieu d'un cercle d'admirateurs sado-masochistes face à toutes ces icônes au christ sanglant, transpercé, souffrant. 

L'art musulman semble, en fait, super contemporain, alors que l'art chrétien paraît être au stade du coloriage de bisons.

Un simple trait dans une mosquée, et c'est le royaume des cieux

Un entrelacs de lignes courbes devant une coupole, et c'est le seigneur en majesté.

Mais, dans une église, on hésite encore sur la longueur de la barbe à faire aux prophètes, on s'amuse à dissimuler derrière la courbe d'un nez ou les poils d'une oreille le portrait véridique du peintre qui exécute la commande. 

Dans nos églises, on ne pense pas, on touche, on sent. Les peintures embaument la chaire fraîche, la paille humide d'un mois de décembre, la fiente de colombe et l'odeur âcre des auréoles au filament survolté.

Et, finalement, où est le problème ? Est-ce qu'on se sent mieux en se prosternant sans mixité dans une mosquée si riche en abstraction, ou en s'agenouillant, hommes et femmes confondus, dans une église en cinémascope ?

Une bonne foi pour tous, rien de tel pour nous aider à surmonter l'immensité des émotions face à une naissance, une union ou une fin de vie qui n'en finit pas de vivre, dans l'éternité d'une croix, d'un croissant ou d'une étoile.

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Pour revenir à la cathédrale d'Elets, heureusement qu'il y avait quelques Marie au sourire attendri pour remettre un peu d'amour au milieu de toute cette noirceur, et beaucoup d'or autour des visages. D'ailleurs, Coralie est ressortie un peu traumatisée par cette visite (surtout lorsque, au détour d'un petit pilier, il y avait un tableau de la tête de Saint-Jean Baptiste sur un plateau… un vrai film d'horreur!) Pour remettre un peu de soleil dans le coeurs, on a acheté trois belles bougies qui brûlent sans doute encore au milieu des parfums d'encens (importés d'Oman, la boucle est bouclée).

Et ensuite, on a quitté la Russie. 

Alors qu'on s'était énervés pour obtenir un visa de 30 jours, voilà que, 10 jours après, on quittait déjà cet immense pays. 

On n'avait pas eu envie de « monter » à Moscou, de peur de ne jamais réussir à atteindre la place rouge avec notre camion, à cause du trafic, des hauteurs, des largeurs et du poids de notre pachyderme roulant qui, définitivement, se sent mieux dans les grands espaces. On ira à Moscou une autre fois, avec un avion, une petite valise et des baskets de ville. 

Et on ne voyait pas l'intérêt de traînasser au milieu des immenses champs. La région qu'on a traversée est la Mecque des agriculteurs. Les paysans doivent sans doute travailler au GPS et en trois huit pour réussir à gérer leurs énormes parcelles. C'est joli, ces immenses tapis jaunes, verts, marron, on a l'impression de s'être perdu sur la couverture de l'ogre jardinier.

Au final, à l'occasion de quelques rencontres, on aura juste « goûté » un peu de la saveur russe, à défaut d'avoir réellement plongé dans un samovar brûlant. 

A la sortie de l'Oural, on s'est arrêtés dans un village pour faire de l'eau à une pompe au bord de la route. Comme ça prenait un peu de temps, vu le faible débit, des jeunes sont venus nous voir. On a papoté en anglais avec le plus jeune, qui fait des études à Ufa. Une heure après (c'est long, un plein d'eau…), il nous amenait un énorme pichet de thé, puis des glaces, puis du miel, une belle rencontre. 

Une autre fois, c'est « Renati », un énorme paysan, qui est venu nous voir un soir, sur le bord de son champ où on s'était garé, pour nous montrer où faire de l'eau et nous dire qu'on était les bienvenus. Le lendemain, comme on avait besoin de faire quelques courses, il nous a amenés à l'épicerie de son village, une petite maison comme les autres, sauf que la porte est déjà ouverte. Pas besoin d'écrire « magasin » sur la façade, tout le monde sait que c'est là.

Et, un dernier moment touchant, ça a été au bord d'une rivière, où on s'était arrêté pour le pique nique de midi. Des jeunes sont arrivés avec leur maman. Les enfants ont fait des concours de saut depuis la berge, on s'est échangé trois abricots et, pendant ce temps-là, la maman chantait des chansons russes dans l'eau. Simple comme une myrtille trouvée par hasard au détour du sentier.

 

Et ensuite, on est entrés en Ukraine. Europe ou pas Europe ? En tout cas, on sent bien que l'Asie n'est bientôt plus qu'un peu de poussière sur le bout de nos semelles.

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