Samedi 5 Septembre
Difficile d'écrire quand tout est si calme, si paisible.
Il n'y a pas d'urgence à raconter l'eau se tendre d'une rive à l'autre, le lent passage des pétroliers, les taches paresseuses des parasols un peu défraîchis.
On se paie le luxe d'un petit camping insolite au bord du Bosphore, les Dardannelles à nos pieds. Dans ce camping, le « Dardanos Sun Beach », il n'y a que les habitués de la saison morte, avec bungalows à l'année un peu vétustes, douches pourries et le « 100% bar and music » squatté par les chats.
Mais la machine à laver du restaurant marche super bien, les gens sont extrêmement gentils et l'apéro sur la plage de hier soir était une petite merveille : bières bien fraîches et soleil couchant, de quoi faire rappliquer tous les Agamemnon et Ménélas à la recherche de la beauté parfaite.
On est entrés en Turquie lundi passé. Le passage de la frontière était assez déroutant. Nous avons remonté une file gigantesque de camions à l'arrêt, avec des camionneurs attablés sur la ridelle du radiateur en train de manger des saucisses, tellement l'attente doit être longue.
Ensuite, on arrive devant un portique énorme, avec au moins 15 files possibles, mais il n'y avait que la numéro 7 qui avait la chance d'être habitée par une douanière blasée, qui jouait sur son téléphone entre deux voitures.
Passer la frontière, pour à présent, est relativement simple. Il suffit de donner les 5 passeports, après on se fait appeler à tour de rôle, on montre notre tête à la fenêtre et on passe.
Mais là, on entre en Asie, alors c'est un peu plus sophistiqué.
On a dû passer un 2ème portique où notre camion a reçu un code barre. Puis un 3ème portique, où notre camion a été « fouillé ». Les douaniers étaient morts de rire, ils se prenaient en photo quand leur collègue, par 35 degrés, est monté avec ses petites chaussures et son uniforme bien repassé sur le toit du camion. Il a fait vider la caisse où on range nos bidons d'huile, puis il transpirait tellement qu'il a pointé un sac en disant : « Umbrella ? ». On a acquiescé pour mettre fin à son labeur. Quand ils nous ont demandé notre destination, on a dit : « China ». Alors, ils ont haussé les épaules, surpris sans savoir que dire et que faire…
Après, on est arrivé à Edrine. On a pris l'air du pays en se faisant arnaquer dans un petit bistro au patron obséquieux. On a choisi « à l'aveugle » des plats dessinés sur une carte pensant que, vu l'état de la terrasse et de la cuisine, nous devions nous en sortir pour une somme modique mais, manque de bol et preuve à l'appui, nous avions soi-disant choisi des plats très chers… Enfin, bon prince, le patron nous a offert une giclette de citron pour faire passer cette addition salée et nous laver les mains.
En flânant dans les rues, on est tombé sur un « kouafför » et, pendant une heure, Alex a eu droit à un service 5 étoiles, une coupe trop belle, 2 verres de thé bien sucrés et climatisation bienvenue.
Cheveux blonds insolites sur le sol asiatique…
On s'est encore promené dans le bazar et, ensuite, on est allé visiter la mosquée.
Sensation pleine de ferveur, les pieds nus foulant les infinis petits fils de laine tissés d'un tapis gigantesque, la tête emportée sous son voile vers la voûte immense de la coupole.
C'est étrange et beau, les écritures au ciel semblables à un labyrinthe révélé, comme pour montrer l'importance du voyage, cheminement indiqué et qu'importe l'arrivée. Nous avons les cartes en main, coordonnées et localisation instantanée. On entendrait presque une voix céleste feutrée prescrivant : « Au prochain giratoire, tournez à gauche. » C'est rassurant et universel.
Ensuite, on a retrouvé la vraie vie, ses mendiants sur le parking, à qui on a donné le siège auto de Coralie, en vertu des nouvelles prescriptions de sécurité routière turque et parce qu'il partait en morceaux.
Le soir même, on avait la mer à nos pieds, dans une petite baie nommée « plaj Italia », à l'ouest de la péninsule de Gallipoli.
On y a passé deux jours et demi incroyables : un peu d'école le matin (mardi 1er, c'était la rentrée, présentation du matériel et visite du bâtiment scolaire), plongée ou vélo sur les pistes du bord de mer l'après-midi. Deux ou trois tentes étaient plantées dans les arbres à l'arrière de la plage, histoire de nous faire rencontrer la Turquie panachée, toujours accompagnée d'un verre de thé bien sucré. Un architecte d'Istanbul et un Turc résidant à Londres ont ainsi partagé un peu de leurs idées sous la toile bienfaisante du camion.
Mardi 8 Septembre
Les Turcs qu'on rencontre sont d'une gentillesse incroyable.
L'autre jour, on s'est installé sur une autre plage, sur le continent même, vers Ayvalik. Une famille turque était installée à une centaine de mètres. Au moment du souper, ils nous ont amené du thé et des patates cuites à la braise. Le lendemain, vers la même plage, on s'est arrêté à une petite guinguette de Robinson et la propriétaire, super souriante, nous a offert les cocas. Nos plaques de chocolat suisse disparaissent, du coup, plus vite que prévu… On se marre en se disant « bonjour », « au revoir » et « merci » en turc, voc de base universel.
Cela fait maintenant neuf jours qu'on est en Turquie.
Pour ceux que ça intéresse, on a visité un musée en 3D sur la bataille de Galipolli pour voir les tranchées de la 1ère guerre côté turc, on a voulu toucher le cheval de Troie du film avec Brad Pitt, mais on n'a jamais réussi à se garer et on a foulé la poussière millénaire du site de Troie, j'en avais le souffle coupé, et le reste de la famille était aussi sous le choc, ambiance vautrée sous l'olivier, paquet de biscuits et bouteille d'eau, attendant que j'aie fini de m'extasier devant ces pierres mortes…
Et sinon, on écume les petites plages perdues, bénissant notre véhicule d'être aussi polyvalent. On se gare à 3 mètres maximum de la plage, pour que l'escalier donne directement sur l'élevage de Bernard-l'-ermite et le coucher de soleil plein de moustiques.
On profite à fond de la mer. On se baigne avant le petit déjeuner et on se couche avec du sable dans les oreilles, le bonheur !
Dimanche 20 Septembre
On a dû passer un stade, un cap de voyageurs…
Cela fait deux semaines que je n'ai rien écrit, tout semble désormais quotidien, normal.
On se déplace, on rencontre des gens toujours très souriants, on voit des beaux paysages et on s'endort sous les étoiles…
Bon, je vais quand même vous raconter une « journée type ».
A 7h45, le réveil sonne, mais on l'éteint.
Vers 8h15, on se réveille quand même, parce que Coralie débarque dans notre couchette (elle toque contre le rideau pour nous dire qu'elle arrive).
On ouvre nos petits stores merdiques roulants qui se coincent tout le temps et on met la radio locale pour que les garçons ouvrent un oeil.
Ensuite, on prend le petit déjeuner, jusque vers 9h30 et là, tout à coup, on se stresse comme des malades pour faire démarrer l'école.
Les lundis et mercredis, c'est français, anglais et toute autre matière d'actualité (biologie pour l'étude des bernard l'ermite, géo pour les capitales des pays traversés) et c'est Cat qui s'y colle.
Le lundi, c'est dictée et rédaction…
Comme ça, on se rappelle pourquoi on profite encore à fond du dimanche soir.
Les mardis et jeudis, c'est maths avec Olive.
Et le vendredi, c'est contrôles, tests, épreuves, révisions, mises au point, cris et larmes… histoire de se rappeler pourquoi on se réjouit que ce soit samedi.
L'école se termine à heure variable… Parfois, 10h30 si on doit faire de la route et que les enfants ont été rapides et efficaces, parfois 12h30, quand ça traînasse et qu'on ne veut rien lâcher…
Pendant ce temps, Coralie apprend à additionner ses doigts, à compter des syllabes, à écrire des lettres et à faire des activités physiques décloisonnées (en bref, après 45 minutes, on part faire du vélo ou de la plongée ou de la randonnée pédestre et après, on revient compter nos doigts, écrire des lettres et scander des syllabes).
Ensuite, on mange des concombres, des tomates, du fromage avec du bon pain en forme d'obus tout croustillant ou tout mou s'il est resté de la veille. La charcuterie est un peu chimique…
Et l'après-midi, soit on roule, soit on attend 15h30 pour qu'il fasse un peu moins chaud et qu'on puisse retourner à la plage ou aller visiter quelque chose.
Vers 18h, on s'engueule. Soit parce qu'on en a marre de la route. (« On arrive quand ? » « On peut jouer avec la tablette ? » « Mets pas ton pied là ! » « T'aurais dû tourner à droite avant. » « T'aurais dû me le dire plus tôt, c'est pas comme une voiture. » « Mais arrête avec ton pied, là ! »). Soit parce qu'on n'est pas tout à fait d'accord sur le timing de la fin de journée. (« Va te baigner si tu veux, mais après t'étonne pas si les enfants se couchent tard. » « T'es sûr que c'est le bon moment pour purger le niveau d'huile ? » « On mange quand ? » « On peut jouer avec la tablette ? » « Va pas dans le camion, t'es plein de sable ! » « Pourquoi je peux jamais faire mon fondant au chocolat ? »)
Vers 19h, tout va bien, c'est l'heure de l'apéro. Bière locale ou pastis, petits poivrons, concombres et chips trop salées du pays.
Ensuite, grillades ou riz sauce tomate.
Les jours pairs, c'est Alex qui fait la vaisselle, les impairs, c'est Seb.
Et vers 21h, on se retrouve tous dans le camion, douchés et en pyjama à se relever des défis sur des jeux débiles de la tablette ou à jouer à des vrais jeux de cartes.
Après, on lit, et après on dit d'éteindre la lumière. Seb se relève trois fois pour boire, aller aux toilettes, boire. Alex passe trois fois sa tête par l'ouverture de la cabine pour dire : « Vous faites quoi ? » « Vous avez dit quoi, là ? » « T'as vu le gros moustique ? ». Et après, on dort.
Entre le 5 et le 13 septembre, on a profité de la mer à fond, en longeant la côte égéenne. On s'est arrêté vers Kumkale, Ayvalik, Foça et Özdere. Plus on arrivait vers le sud, plus c'était touristique et moins agréable (prix de cochons, gens qui nous sollicitent souvent, plages pas très sauvages ou pleines de détritus). Mais bon, on s'est quand même régalé et on a fini dans un magnifique camping, près d'Ephèse, avec un bon resto les pieds dans l'eau.
On a visité Ephèse à la pire heure, histoire d'être bien écrasé par la beauté du passé, entre 12h et 13h30. C'était magnifique, le théâtre est tellement grandiose (d'ailleurs, les enfants l'ont reproduit le lendemain sur la plage en charriant trois tonnes de sable) et la bibliothèque de Celsius était bien rangée.
Et depuis, on essaie de retrouver un peu de fraîcheur en filant plein est.
On s'est arrêté à Pamukkale, une énorme source pétrifiante à ciel ouvert. C'est marrant, de loin, on croirait qu'il y a une station de ski avec des gens en maillot de bain.
Depuis le 15 septembre, nos copains Cyril et Esthelle nous ont rejoint à Pamukkale, dans un bivouac poussiéreux au milieu des herbes qui piquent. Nous allons faire le voyage ensemble pendant toute l'année, si tout se passe bien ! Ils ont aussi un fourgon 4×4, la trentaine d'année et l'esprit libre et sans soucis car ils ne sont que deux…
Ensemble, nous avons fait les touristes à Egirdir, joli marché avec des jupes taille XXL et des cacahouètes trop salées.
Le lendemain, le 17 septembre, pendant qu'Olive et les enfants faisaient des maths, on est monté, Esthelle, Cyril et moi au point culminant de la région (le Dipoyraz à 2900 mètres), 1200 mètres de dénivelé à la fraîche. Vue magnifique, ambiance magique, ampoules énormes et cuisses douloureuses pendant deux jours (je crois que je manquais un peu d'entraînement…).
Depuis samedi soir, le 19 septembre, on est en Anatolie centrale, à Camardi. C'est un parc naturel très sauvage, l'Ala Daglar (avec son gardien en R12, vieux pantalon de berger et lunettes des années 50, qui a voulu nous faire payer très cher le droit de contempler les étoiles… heureusement que des grimpeurs turcs s'en sont mêlés pour que les prix du « camping sauvage » redeviennent raisonnables). Esthelle et Cyril étaient déjà venus ici il y a trois ans, ils connaissent bien l'endroit et on se régale de grimpe et de VTT.
Ce soir, on avait prévu une « réception » pour un ami que Esthelle et Cyril avaient rencontré lors de leur précédent séjour : côtelettes d'agneau, taboulé géant et tarte aux pommes, mais la réception est remise à demain … Tant pis, on s'est régalé entre nous !
Samedi 3 Octobre
Cela fait une semaine que nous sommes en Cappadoce.
C'est une noisette folle posée au milieu de la Turquie.
Les volcans y ont laissé retomber leur poussière à un rythme de fonctionnaire zélé en milieu de carrière : avec lenteur et méthode, les couches se sont accumulées. Puis, l'administration a dû fermer, et le vent et la pluie ont fait leur office.
C'est très étrange, on se promène au milieu de rivières fossilisées, sous le regard (pas bienveillant, les rochers n'ont pas d'âme) de pierres posées en équilibre en haut de tours fragiles mais millionnaires (bon anniversaire!).
Le paysage, en soi, est déjà source d'exclamations variées (« ouah ! », « oh ! », « mi ! », « ah ! », « ho ! »), mais ce qui est encore plus fou, c'est le délire touristique qui entoure cette région. On n'avait encore jamais vu ça à une telle échelle.
Le premier soir, on s'était garé sur une prairie plate, vers le « panoramic view », en haut de la Red Valley. On était heureux d'avoir trouvé un endroit si dégagé et si tranquille.
Le lendemain, vers 6h30 du matin, dans un demi-sommeil, j'entends comme d'énormes coups de vent, brefs et rapprochés. Je pense d'abord aux chaussures de Coralie qui traînent sous le camion et qui risquent de s'envoler, puis je rêve fugacement de baleines en apnée qui viennent reprendre leur souffle sur nos têtes, et, ne sentant aucune poussée malgré les bourrasques, j'ouvre enfin délicatement notre petit store merdique et là : c'était une image de folie.
Une centaine de montgolfières étaient autour de nous, avec le soleil qui se levait et plein de petits Chinois qui faisaient : « ouah ! », « oh ! », « mi ! », « ah ! », « ho ! ». C'était un instant magique, suspendu (forcément).
Mais la petite brise de l'aurore a poussé ces délicates enveloppes colorées jusqu'à nous doucement, et là, l'ambiance a changé.
A terre, c'était un ballet effréné de 4X4 avec remorques pour aller se positionner juste à l'endroit où le panier de la montgolfière viendrait se poser. Sorte de jeu pour tablette débile inventé par un cerveau microsoft basique : tu gagnes 10 points lorsque la remorque est sous la montgolfière et tout explose si l'une tombe par terre, game over.
Sauf que, ce matin, il y avait un grain de sable dans la mécanique. Nos camions étaient garés sur le lieu d'atterrissage de « Kappadokian Dream Butterfly Amazing Balloon », alors il y avait du spectacle à tous les étages. Les Chinois criaient de joie, les employés turcs hurlaient dans leur radio, en soulevant des nuages de poussière avec leurs remorques qui tressautaient dans tous les sens. Seuls les ballons gardaient leur calme, poussés tranquillement vers d'autres couches aériennes, gardant le ciel en 2 D : haut – bas, au rythme de soudeurs géants donnant de grands coups de gaz brûlants.
Comme on était aux premières loges, on est allé voir avec Alex et Coralie un de ces atterrissages contrasté : bruit et calme, pesanteur terrestre et souplesse aérienne jusqu'à l'impact du panier sur la petite remorque.
Là, c'était excellent. La responsable a sauté du panier, est vite partie se recoiffer à un rétroviseur de minibus garé pour ramener les passagers à leur hôtel, puis elle a déployé une petite table de camping avec un napperon taché et deux branches de thuya faisant office de décoration. Ensuite, elle a sorti précautionneusement d'un sac rembourré des flûtes en plastique pour offrir du « champagne » à un groupe de Brésiliens et Brésiliennes morts de rire car deux de leurs congénères n'arrivaient pas à sortir du panier de la montgolfière.
Toute grâce avait disparu.
L'envers du décor était posé : plastique et jus sucré chimique (un des employés nous a fait goûter) pour touristes encore sonnés par le si cher voyage (compter environ 200 euros par personne, entasser 20 personnes par montgolfière et multiplier le tout par 100, cela donne un petit aperçu de la taxe d'habitation qui doit être en vigueur dans la région…)
Pour le Chinois tout juste débarqué de son honorable papillon arc en ciel, la journée n'est pas finie. Il reste encore à faire la visite de maisons troglodytes (petites maisons creusées dans la roche, avec des « escaliers » sablonneux glissants de la taille d'un pied pour aller à l'étage), le tour des boutiques de céramique (un vase de Cappadoce posé sur un napperon chinois à Shanghai, ça doit impressionner), puis arrêt dans un restaurant local avec kebabs made in Belgium à la chaîne. Finalement, le clou de la journée : le tour en quad électrique, avec masque de chirurgien sur la bouche, précédé par le guide turc en scooter et au téléphone tellement il s'ennuie.
La Cappadoce est vraiment un endroit étrange et unique !
Pour notre part, on a fait des activités un peu différentes, histoire de ne pas craquer le budget dès les premiers mois. VTT au milieu de toboggans fossilisés démentiels, balades dans les petits vergers et vignes sablonneuses, longues matinées de connexion internet pour démêler les nouveautés en matière de visa iranien depuis la Turquie, excursion chez le garagiste de Nevsehir pour changer les tambours de frein avant (c'était prévu : on attendait la Turquie pour le faire à moindre prix) et salade de thon maison au milieu des guêpes.
On a tout de même joué les touristes en allant visiter le monastère de Gümüsler et la cité troglodyte de Kaymakli. On avait pris nos lampes de poche pour vivre une expérience unique loin des lumières balisées.
A Gümusler, c'était excellent, on a découvert de petits couloirs cachés. Mais, à Kaymakli, ça sentait tellement la chaussette et le parfum rance qu'on a assez vite abandonné. On avait aussi peur de perdre Coralie qui pouvait, vu sa petite taille, se faufiler partout, et de prendre un coup de grisou au fond d'un de ces couloirs délabré. L'impression est tout de même très surprenante, 10 mètres sous terre, avec des petites encoignures pour ranger sa lampe à huile troglodyte et son petit livre de prière… Humain et cavernicole à la fois.
Tout à l'heure, on part en direction d'Erzurum pour aller chercher nos visas iraniens, qui doivent arriver dans une semaine. On se réjouit de retrouver un peu d' « âme turc » car, depuis une semaine, on ne croise que des touristes, voire même des Français…
On a rencontré une famille de Bordeaux avec deux enfants qui sont aussi partis en voyage, mais pour deux ans et pour un vrai tour du monde avec leur camping car. On a échangé les bons plans et les bonnes adresses autour d'un verre de pastis, pendant que les enfants s'éclataient ensemble. On se recroisera sûrement au prochain poste de douane…
Un 3ème ami, Cédric, nous a rejoint avec également un camion 4X4. C'est un aventurier du travail contemporain. Il est patron d'une entreprise de transports en Bretagne, et il a engagé des gens assez fidèles et compétents pour pouvoir continuer de gérer son entreprise depuis son camion. Connexion tous les matins à 10h, heure locale, pour faire le point, puis son bureau ferme jusqu'à la prochaine connexion ! Nous allons faire un bout de voyage ensemble.
Le soleil est maintenant bien levé, les ballons se sont tous posés, j'entends du bruit au camion. C'est bientôt l'heure du petit café. Aujourd'hui, c'est samedi, pas d'école, quel bonheur!
On part vers 10h pour rejoindre un des plus haut sommet de la Turquie.
J'aime me lever tôt pour écrire. Je m'installe sur une pierre froide en pyjama avec la veste bien chaude de Sébastien, en chaussettes dans mes tongs pour ne pas avoir froid aux pieds. Et je laisse courir mon stylo, noircissant les pages pendant que le ciel s'éclaire.
C'est mon moment à moi.
L'écriture, comme la préparation d'un repas.
Seule, dans ma petite cuisine, en train de concocter des mélanges de saveurs bien disposées dans des plats à gratin ou de la porcelaine fine.
Lorsque le temps de cuisson est écoulé, c'est le bonheur du partage, tout le monde autour de la table.
L'écriture circule.
Mais qu'est-ce qu'on boit avec ça ???
Jeudi 15 Octobre
Les kilomètres défilent.
On part à l'Est. Le vrai Est. Celui qui, bientôt, ne parlera plus romain, ne comptera plus de mausolées « magnus » ou de vieilles bornes « cruciformus »… Enfin, il reste encore un peu de route jusqu'à ce qu'on quitte ce fameux empire.
On a hâte d'entrer en Iran, fouler les tapis persans. Mais la route est longue.
Déjà, depuis la Cappadoce, il y a environ 1000 kilomètres jusqu'à la frontière iranienne. On a pris l'option « petites pistes » pour découvrir la Turquie profonde.
Ça tourne, ça monte, ça descend, faut jouer des vitesses en douceur pour ne pas dépasser les 2'500 tours (si je me manque et que le moteur « hurle », c'en est fini pour moi, je dois repasser le volant à Olive!).
Le paysage est magnifique (à 25 kilomètres heure de moyenne, on a le temps de s'émerveiller) mais les traversées de village sont parfois délicates, si on ne veut pas arracher le réseau de téléphone et d'électricité de la petite communauté.
Certains villages ne sont qu'en terre battue, avec une pyramide immense de bouses de vache séchées devant chaque « maison » pour se chauffer durant l'hiver. Une grosse parabole assure le contact avec l'extérieur.
CNN dans la fumée des bouses… ça relativise les événements, même les plus douloureux.
L'autre difficulté pour entrer en Iran, c'est le visa. Les jours fériés, en Iran, sont les jeudis et vendredis. En Turquie, ce sont les samedis et les dimanches. Ça laisse 3 jours pour entrer en contact avec les administrations locales… En plus, les heures d'ouverture pour faire la demande de visa, c'est le matin et, pour les récupérer, on ne peut venir que l'après-midi, mais pas le même jour…
Bref, après 10 jours d'internet et de route (agence iranienne à Ispahan pour avoir une lettre d'invitation – numéro de référence délivré par le ministère des affaires étrangères iranien à Teheran – 3 jours ouvrés d'attente – consulat iranien à Erzurum), on a réussi à avoir de beaux visas.
Sur les photos du visa, j'ai l'air d'une paysanne du Tockenburg avec mon voile bleu acheté 10 livres sur un marché à Eregli.
Avec Esthelle, on a essayé d'avoir une « leçon de voile » avec les habitantes d'Erzurum qu'on croisait pour qu'elles nous expliquent comment border le tissu sans qu'on ressemble à une sorcière ou à un fantôme, mais on a juste réussi à faire marrer tout le monde. Pendant les deux heures d'attente au consulat iranien, j'ai eu l'air de plus en plus échevelée, le voile me glissait sur la mèche, j'avais chaud, ça grattait.
Pas facile de devenir une femme à voile.
Femme à vapeur, ça doit être plus mystérieux…
Au niveau touristique, on a visité le sanctuaire d'Antiochos Ier sur le Nemrud Dag. Le plus impressionnant, c'était la montée à vélo. On a parcouru 1'400 mètres de dénivelé sur 14 kilomètres, ça faisait chauffer les mollets ! Par contre, les fameuses têtes de pierre nous ont un peu déçus, elles sont maintenant parquées derrière des cordes avec des panneaux d'explication en trois langues en marbre, ça gâche un peu le mystère des sourires figés de l'autre millénaire.
On a quand même laissé le soleil se refléter une dernière fois dans les paupières minérales (grand classique, le coucher de soleil au sommet de la montagne…) et on est redescendu se mettre au chaud dans nos camions.
Sinon, on a bien apprécié nos deux jours à Erzurum. On en a profité, Seb et moi, pour se refaire une petite beauté chez deux coiffeurs différents (les univers ne sont pas les mêmes : chez les hommes, c'est foot à la TV et poils de barbe par terre, chez les femmes, c'est le feuilleton du jour et canapés à bouclettes confortables). La coiffeuse, pour faire tomber mes petits cheveux, me soufflait sur la nuque d'un rapide souffle mentholé, surprenant (surtout que je n'avais plus mes lunettes). En plus, j'étais avachie comme une poupée molle, car ma haute stature de girafe n'était pas aux normes du fauteuil turc.
On est aussi allé faire les boutiques avec Esthelle pour trouver des pulls à manches longues légers qui couvrent également le bas des fesses pour ne pas choquer le douanier du poste de Kapiköy, qui ne doit pas voir passer souvent des Européennes.
Nous voilà donc équipés, prêts à quitter la Turquie.
On aura vraiment bien apprécié les charmes du pays, même si le climat a un peu changé depuis qu'on a quitté la Cappadoce.
On voit parfois passer en direction du sud de gros avions et des hélicoptères énormes. Les barbelés sont imposants autour des gendarmeries. On a croisé deux barrages de police, mais dans un grand calme apparent, sans encombre. Les événements d'Ankara n'ont pas changé la gentillesse de l'accueil des gens.
Un soir, le maire d'un petit village est venu nous voir vers 22h pour nous dire qu'on devait partir (mais, au final, on a pu rester) et, le lendemain, vers 7h30, un autre maire d'un autre village est venu nous voir pour nous dire qu'on devait rester, en attendant la police (mais, au final, on a pu partir) et la raison de toute cette agitation avec force coups de fil et demande d'explications, mais avec le sourire, c'est qu'on s'était garé au sommet d'une petite butte où se trouvait un site archéologique non référencé, mais bien protégé… Heureusement que les enfants n'ont pas ramassé des « cailloux » et espérons qu'ils n'aient pas déplacé un tumulus en jouant avec leurs tracteurs en plastique.
On va désormais quitter le monde de la « pide » (pizza ovale), du « lahmacun » (pizza ovale, mais plus difficile à prononcer et garnie de viande hachée de mouton), du « durum » (sandwich emballé dans une pâte de 3 kilomètres de diamètre) et du kebab, pour découvrir les saveurs salé-sucré de l'Iran.
Question nourriture, on mange 3 ou 4 fois par semaine au restaurant à midi. L'addition est d'environ 20 euros pour les 5, si on boit du « chaï » (thé servi dans un petit verre au fond arrondi) ou de l' « aryan » (une espèce de yogurth très liquide salé, ça nous entraîne pour la Mongolie). Si on prend du coca, on double tout de suite la facture.
On va dans des restaurants où les escaliers sont branlants, les nappes en papier et les toilettes turques (forcément), et on s'est toujours régalé !
Et sinon, on se fait des sandwichs au thon avec une petite salade à midi dans du pain tout plat, accompagnés parfois de pâtisseries super coulantes qui collent au doigt pour toute l'après-midi.
Le soir, on se fait des grillades de côtelettes d'agneau ou de boulettes avec des épices (« köfte »), qu'on fait griller sur la flamme de buissons ardents (on a essayé la cuisson à la bouse de vache, mais c'est un peu lent…).
On ne prend presque plus d'apéro, car on a tout bu et on n'arrive plus à trouver aucune petite bière locale chez les épiciers du coin. On en est réduit à finir la bouteille de crème de cassis de Cédric à l'eau plate, quel gâchis ! L'autre soir, pour fêter l'obtention de nos visas, Cédric avait mis au frais son ultime bouteille de Chablis. On a mangé à 8 dans le camion, car les nuits sont désormais fraîches et tombent vite.
Ce soir, on dort au bord du lac de Van… Impression d'être à nouveau en bord de mer, mais avec les couleurs d'automne. Les enfants sont un peu déçus, car il fait trop froid pour la baignade.
Les saisons passent…
GULE GULE, LA TURQUIE !!!