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Dimanche 11 juillet 2016

UKRAINE

A force d'arriver par la route d'un pays à l'autre, on reste un peu trop à une échelle humaine, quotidienne, banale, où nul n'est plus « étranger » que l'autre. Et là, pour l'entrée en Ukraine, c'était frappant.

D'un côté, on avait l'impression d'être à un simple « péage », avec une file de voitures arrêtées devant nous, une grande arche marquée « bon voyage » et un petit air de départ pour le sud et ses itinéraires de bison futé pas si malin, puisque ça « bouchonnait ». Tout le monde papotait, hors de sa voiture, ça doublait en douce pour gratter une place, les sandwichs sortaient de leur petit sachet fraîcheur.

Et, d'un autre côté, quand après 2 heures d'attente, la file de voitures avançait enfin un peu, on réalisait qu'il fallait peut-être changer d'échelle, se mettre à l'heure de la géo-politique et de ses « zones-tampon », « cessez-le-feu » et autres « cessations de territoires ». Ces grandes palissades en béton ne doivent pas juste être de simples pare-soleil, et ces tas de sable ne doivent pas être en dépôt pour réaliser un « Kiev-plage » sur les rives du Dniepr…

Bref, ça a pris du temps pour quitter la Russie et pour entrer en Ukraine. Les douaniers étaient fort sympathiques et il n'y avait aucune tension, mais les contrôles n'étaient pas faits à la légère. Cela faisait longtemps que notre numéro de châssis n'avait pas suscité une telle attention, et le douanier ukrainien a tenu à jeter un coup d'oeil dans tous les placards, sauf celui sous le frigo où étaient justement rangées quelques bouteilles de vodka.

Cinq heures plus tard, on était enfin en Ukraine. Et, comme c'était déjà la fin d'après-midi, on a dormi au bord d'un immense champ, comme le soir d'avant, côté russe, pas très dépaysant.

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Et le lendemain, on est partis pour Kiev, sauf qu'on n'y est pas arrivés. 

Dans l'après-midi, alors qu'on rejoignait une grande route, des policiers nous ont fait signe de nous arrêter. On était surtout concentrés sur le trafic de la grande route, on n'a pas voulu interpréter le léger balancement du bâton du flic comme une injonction précise, bref, on a continué de rouler. Dix secondes plus tard, une voiture de police nous rejoignait en mode « sapin de Noël, guirlande en feu et sirène en folie » et nous demandait de faire demi-tour.

Et là, au poste de police, ça a été la totale : refus d'obéir à une force de l'ordre, certificat d'assurance sous forme PDF (c'est normal, on n'a pas relevé notre boîte aux lettres depuis quelques semaines…), notre compte était bon. Bien sûr, on se comprenait très mal, les policiers ne parlant pas anglais et, pour notre part, on savait juste dire en russe des mots de base comme « vache », « lait », « chien », « cheval », ce qui est utile quand on rencontre des paysans au bivouac, mais pas très efficace devant des policiers déjà hilares de leur bonne prise. 

Grâce à « google translate », les policiers nous ont fait comprendre que notre permis allait nous être retiré pour 6 mois, qu'on allait devoir payer une grosse amende et qu'il fallait qu'on remplisse un « protocole ».

On a essayé tous nos stratagèmes, même les plus éculés, pour se sortir de ce mauvaise pas : charme avec les enfants qui sont venus offrir des biscuits au policier et manger des mûres avec lui, rigolade, énervement et grosses menaces d'appeler l'ambassade (mais les bureaux étaient déjà fermés…). 

A un moment, on a même récupérés nos papiers en disant : « Niet problem, alors niet protocol, alors nous sbasiba et do svidania, merci et au revoir ! ».

 Mais le policier, en criant plus fort que nous, a tapé sur la table, a sorti son appareil photo pour mitrailler notre camion et a repris son fameux « protocole ». Alors, on a osé le fameux mot qu'il ne faut, normalement, jamais prononcer : « Skolka ? Combien ? ».

Là, le policier est sorti fumer une cigarette, hilare, puis il est revenu en griffonnant sur un bout de papier : 300 dollars. On lui a demandé le tarif en monnaie locale, il a alors écrit : 2500 hyrvania, ce qui représente environ 90 euros. Comme on était soulagé que le taux de change soit si avantageux, comme des andouilles, on a sorti 5 billets de 500, que le flic a mis dans une enveloppe, en faisant tout un cirque avec des cachets sur les 4 coins qu'Olive a dû signer aux 4 endroits, puis on est repartis.

Mais, on était dégoutés. 

Pour le pays, cette somme est énorme. Par exemple, une coupe chez le coiffeur pour dame, c'est 3 euros. Un restaurant pour 5, avec viande, salade, pain, boissons et petits cafés, c'est 9 euros… On s'était bien fait avoir ! Avec tout cet argent, ils pouvaient offrir un an de permanente aux femmes de toute la brigade et se payer un bon resto avec tout le contingent !

Du coup, comme c'était déjà tard, on est allés se garer dans un champ à 5 kilomètres, puis on s'est engueulés sur la cuisson des saucisses pour faire baisser la tension.

Et, le lendemain matin, on a rappelé l'ambassade de France à Kiev pour lui raconter notre misérable histoire. Le secrétaire du consul nous a dit qu'on s'était bien fait avoir (bon, on le savait déjà) et que, la prochaine fois, il faudrait relever le numéro matricule du policier, et surtout se souvenir qu'on ne paie jamais une amende « cash », mais qu'il faut aller dans une banque, où on nous donne un reçu, qu'on transmet ensuite aux policiers.

Comme on était tout près du poste de police, on y est retournés ! Bien sûr, l'équipe avait changé, mais personne ne parlait mieux anglais que le soir d'avant, et notre russe ne s'était pas amélioré en une nuit. Bref, on est entré dans le poste en criant très fort, en sortant des gros billets de notre portemonnaie, et en disant le peu de mots qui nous semblaient compréhensibles pour tout le monde : «Big problem ! Matricule number ! Wrong protocol ! French Embassy ! Stop-corruption internet ! 2500 hyrvania ! Niet rat ! (pas content!) ».

Et là, chose incroyable, les policiers sont devenus très gentils, nous ont fait asseoir, patienter un peu. Quand le dernier chauffeur de camion est ressorti, ils nous ont fait venir dans leur petit cagibi où ils nous ont rendus les 2500 hyrvania, en nous suppliant les mains jointes de ne pas ébruiter l'affaire…

 

On en rit encore.

Et pour fêter ce bon retournement de situation, on s'est payé un super resto à midi, où on a donné carte blanche au serveur pour nous régaler de sa meilleure viande et de ses meilleures salades, et on a raconté notre histoire (en omettant de mentionner le lieu où cela s'était passé, on avait promis de ne pas tout dévoiler…) à tous les clients anglophones qui venaient nous souhaiter la bienvenue en Ukraine.

Et l'après-midi, on est partis enfin à la découverte de Kiev. 

On a visité le fameux monastère des Laures des Grottes. On est monté en haut du clocher, on s'est payés de bonnes glaces, ça sentait les vacances !

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Ensuite, pour changer d'ambiance, on est allés au « musée militaire de plein air » où les enfants ont pu monter dans un hélicoptère énorme et un Mig 23 tout effilé, impressionnant. On a même pu comparer la consommation de gazoil des gros tanks soviétiques avec notre camion, et on s'est dit qu'on était presque devenus éco-conso.

Et, en fin d'après-midi, on a quitté la capitale pour chercher un joli bivouac vers un lac à une vingtaine de kilomètres de Kiev. Comme on hésitait sur la piste à prendre au milieu de la pinède, on s'était arrêtés et là, un gentil monsieur à vélo accompagné de son gros chien « Bortsch » (marrant, comme si on avait appelé notre hamster « Emmental »… sauf qu'on n'a pas de hamster) nous a proposé de venir chez lui. Comme il n'habitait pas au bord du lac, on a décliné l'invitation, mais on a promis de venir lui rendre visite le lendemain.

On a passé une bonne soirée à se faire dévorer par les moustiques et à papoter avec un jeune couple d'informaticiens venus passer le week-end avec leur fils au bord du lac et, le lendemain, on est allés voir Andreji (c'est le monsieur avec le chien).

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C'est un original qui vit dans une belle villa. Il fabrique des confitures avec des piments, il a des déguisements de sumo dans son garage, et il a même rencontré Brejnev en personne quand il était petit. Il nous a raconté l'histoire de sa famille, son grand-père fusillé devant sa maison, sa grand-mère qui s'est enfuie et ses parents qui n'ont jamais pu récupérer la maison de famille. Les déplacements de frontières n'ont pas grand chose à voir avec le respect humain et le bonheur des peuples semble bien absent de ces jeux de chaises musicales, où les Kazakhs sont déplacés en Russie, les Russes en Ukraine et les Ukrainiens à Pétaouchnok. Et quand la musique s'arrête, personne ne rit.

On a quitté Andreji en début d'après-midi, parce qu'il était l'heure de partir pour les Carpates.

En chemin, on a visité une grotte de gypse impressionnante. 

On avait un point GPS où c'était écrit : « Natural Cave Entrance ». On est allés voir. Mais c'était au milieu d'une forêt, on poussait des branches et écrasait des champignons avant d'atteindre enfin une porte en fer, fermée à clé. On était bien déçus, ça avait l'air rigolo, un petit courant d'air frais sortant de la serrure nous invitait à l'aventure.

Du coup, comme on est plein de ressources, on est revenus au village et on  s'est arrêtés devant une maison où il y avait des photos de cristaux. Là habitent Bogdan et Nata, deux géologues passionnés de spéléologie. On a partagé le bout de saucisson et on est parti avec tout un équipement de spéléologie (en fait, une vieille combinaison de ski Degré 7…), Nata, son chien « Optima » chargé de nous retrouver avec son odorat sur-puissant si on se perdait dans la grotte, et la clé de la fameuse porte en fer.

Franchement, c'est très étrange. A la fois, ça paraît super débile de marcher dans le noir en se cognant partout et en rampant dans la glaise et, d'un autre côté, c'est fascinant de balayer le noir avec sa lampe de poche et de voir des cristaux de gypse énormes, des fissures de tous les côtés. Après deux minutes, on a bien sûr perdu le chien, qui devait en avoir marre de ne rien y voir et après une heure de marche, on a atteint un « camp » de spéléo, avec un vieux sapin de Noël, des casseroles et des matelas qui avaient servi peu de temps avant pour achever de cartographier la grotte. Il y avait un petit « lac » pas loin, où on a pu tremper un pichet pour boire l'authentique eau des profondeurs.

Nata était vraiment une guide super sympa, même si on ne se comprenait pas toujours très bien. Il semblerait que cette grotte soit la plus grande grotte de gypse du monde, on veut bien le croire. Une belle expérience.

Quand on est revenus au village, Bogdan nous a fait des schémas sur presque trois pages pour nous expliquer tout ce qu'il fallait aller voir dans les Carpates, et on est partis après lui avoir acheté encore 5 bières de fabrication artisanales, vraiment une belle après-midi.

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Et, finalement, on est arrivés au Carpates. Et là, ça a été un peu la déception… ça ressemble aux pré-alpes fribourgeoise, la route principale est en fond de vallée et les pistes s'enfoncent dans un tunnel d'arbres impraticables pour notre camion. On a tenté à plusieurs reprises de trouver le bivouac du siècle sur une crête dégagée qu'on avait repérée avec « google earth », mais notre camion était soit trop large, soit trop haut, soit trop incongru au milieu de ce beau paysage. 

On est quand même allés se garer sur un parking immonde pendant une nuit pour aller faire l'ascension du Hoverla, la plus haute montagne des Carpates, à 2061 mètres. C'est curieux parce que c'est LA montagne d'Ukraine, et le sentier est franchement pourri. Au début, ça serpente dans la forêt, c'est très agréable, mais dès qu'on arrive en zone de buissons, le sentier monte droit dans la pente pendant presque 400 mètres de dénivelé, Coralie devait faire des pas de géants pour monter d'une pierre à l'autre. Et, quand on est arrivés au sommet, il y avait un vent terrible, du brouillard et des gouttes de pluie… Belle expérience !

Heureusement qu'on a trouvé du bon fromage à la boutique de souvenirs. 

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On a ensuite cherché pendant presque deux heures un bon bivouac mais on a bien désespéré. Soit les chemins étaient clôturés, soit ils étaient trop étroits, soit c'était trop boueux. De désespoir, on s'est posé dans un virage, sur l'ancienne route, là où, toutes les trente minutes arrive une voiture avec des passagers pressés d'aller faire pipi dans un petit coin discret, quelle bonne ambiance ! Vivent les Carpates !

Finalement, on a quand même réussi à trouver une piste assez large qui nous a menés à la petite clairière de nos rêves où on est restés deux jours. On a construit une balançoire, une cabane, on a fait des feux, la belle vie.

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Et avant de quitter les Carpates et l'Ukraine, on s'est encore payés une petite journée dans une « base de loisir » vers l'ouest de l'Ukraine. Pour 1 euro cinquante, on a pu faire du pédalo antique avec des clous qui dépassaient de partout et une chaîne à vélo qui déraillait pour entraîner les pâles toute rouillées… Mais il y avait un toboggan très sympa, le café était très bon et le soleil brillait, ça fait du bien de ne rien faire !

 

Et ensuite, on est rentrés en Europe par la Hongrie.

Voilà. 

Il n'y a plus rien à raconter. 

Il n'y a plus de vaches qui broutent dans les rues depuis longtemps, les gens tournent à peine la tête pour nous regarder, tout est droit, bien aligné, avec des panneaux partout, des interdictions, des permissions, des obligations, des informations, des suffocations, des bouts de saucissons, des pistes cyclables et des barrières en bois partout. 

 

Il ne nous reste plus qu'à rentrer à la maison.